L’analyse gemmologique est une forme d’enquête : on collecte des indices, on les trie, on les analyse et on aboutit à une identification.
Pour ce faire, on doit suivre un cheminement logique. Suivant les écoles, ce cheminement sera différent. Par exemple, au GIA, le manuel de détermination des gemmes part de la couleur de la pierre, ce qui donne un premier tri. La seconde étape est la mesure de l’indice de réfraction. Cela donne plusieurs pierres potentielles et les tests complémentaires correspondants. A la Gem-A, on analyse d’abord la pierre à l’œil nu, puis à la loupe 10x et ensuite seulement on déroule les tests (polariscope, réfractomètre, etc.) Peu importe le cheminement que l’on choisit, il doit être logique. Si l’on pratique un test, c’est en sachant pourquoi celui-ci et pas un autre. Il doit permettre soit de diminuer le nombre de possibilités, soit de conclure positivement l’identité d’une pierre. Par exemple, il est inutile d’utiliser un filtre Chelsea sur une pierre incolore, puisqu’il ne mettra en évidence aucun agent chromogène, qu’il s’agisse du chrome, du vanadium ou du cobalt.
La toute première chose à comprendre lorsque l’on commence à analyser des pierres, c’est que l’on doit toujours faire une identification positive d’un indice! C’est crucial! La plupart des débutants qui ont le choix entre deux identités possibles, concluent à l’identité d’une pierre en disant que « comme je n’y ai pas vu ceci, alors cela ne peut pas être cette pierre. Par conséquent, ce ne peut être que l’autre alternative » Rien n’est plus faux! Si l’on ne constate pas d’alternance d’allumages et d’extinctions au polariscope, il se peut que l’on regarde la pierre suivant son axe optique. Par contre, si l’on constate cette alternance, on peut mettre de côté toutes les gemmes du système cubique et les gemmes microcristallines! Dans le premier cas, on n’a rien vu et on en a déduit quelque chose de faux. Dans le second cas, on ne peut nier ce que l’on a vu et qui permet de réduire les possibilités ou de conclure. Toujours faire une identification positive d’un indice.
Voyons maintenant en détail le cheminement que j’utilise personnellement.
Tout d’abord, je regarde la gemme à l’œil nu. Cette étape est primordiale, en particulier dans le cas des bruts. On regardera en premier ce qui est en surface : cassures, polissage, éclat, égrisement, etc. Tout ceci nous donne des premiers indices et oriente nos analyses ultérieures. Par exemple, nous observons une pierre bleue pâle dont le feuilletis est égrisé et les faces fortement rayés. Ces deux éléments doivent nous amener à conclure que la dureté de cette pierre ne doit pas être très élevée. Si l’on ajoute à cela que cette pierre est très brillante avec des feux importants, ces indices nous poussent à vérifier deux choses : la présence de doublage des arêtes vues à la loupe et l’indice de réfraction supérieur à la capacité du réfractomètre. Si ces deux derniers éléments sont confirmés, alors nous serons en présence d’un zircon bleu. C’est la concordance de tous ces indices qui amènent à la conclusion. Si l’on n’avait comme indice que la faible dureté et un éclat vitreux, alors cela pourrait aussi bien être du verre, une cyanite ou une bénitoïte.
Ensuite, toujours à l’œil nu, j’observe l’intérieur de la pierre, sa transparence, ses zones de couleurs, ses jeux de couleurs, le doublage des arêtes, etc. On observe régulièrement des stries de croissance droites et ayant des angles bien particuliers entre elles. Cela exclut d’office des matières comme le verre, les matières microcristallines, etc. Si l’on se trouve en présence d’une pierre vert olive clair à l’éclat gras dont on peut voir un doublage des arêtes à l’oeil nu, il ne sert pas à grand chose de poursuivre plus loin : on a entre les mains un joli péridot.
Arrêtons nous un instant sur les bruts. L’observation d’un brut assez bien formé permet de définir son système cristallin. Cette étape permettra de gagner un temps considérable pour la suite de l’analyse. Dans le cas de bruts roulés, c’est beaucoup plus difficile. En général, on pratique une fenêtre dans le brut, c’est à dire que l’on polit une petite surface afin de pouvoir regarder à l’intérieur de la pierre. Cela permet également de mesurer son indice de réfraction au réfractomètre.
L’étape suivante de l’analyse gemmologique est l’observation à la loupe 10x. Dans le cas de pierres de petite taille, on regarde tout de suite à la loupe. L’observation à la loupe suit le même cheminement que l’observation à l’œil nu : d’abord l’extérieur de la pierre, puis l’intérieur. Le grossissement permet de capter des détails invisibles à l’œil nu, comme la forme de petites fractures (conchoïdales, granuleuses, …), des plans de clivage, des rayures sur les facettes ou la table, des égrisures sur le feuilletis, des petites inclusions, etc. On note tout ce que l’on voit et il est intéressant de faire un croquis pour y positionner ces éléments. Cela rendra les recherches ultérieures plus rapides.
Au besoin, si j'ai repéré des inclusions, j'utilise également une loupe à fond noir.
Après m’être fait une première idée de la pierre que j’ai entre les doigts, j’utilise le polariscope. Cela me permet de savoir si la pierre est isotrope, anisotrope, amorphe ou microcristalline. Les pierres isotropes sont du système cubique. Peu importe la manière dont on les observe au polariscope, elles restent sombres sans aucun changement d’intensité. Attention : il faut observer une gemme suivant plusieurs axes et la faire tourner sur un tour complet à chaque observation. Les gemmes anisotropes s’allument et s’éteignent alternativement deux fois sur une rotation complète.
On change la pierre de position et on recommence les observations. Une matière amorphe comme le verre présentera une réaction qui n’a rien à voir avec les deux précédentes. Au lieu de s’allumer et s’éteindre, on peut voir des vagues sombres aller et venir dans la pierre. Enfin, les matières microcristallines restent allumées en permanence lorsqu’on les fait tourner. On peut utiliser le conoscope pour repérer les axes optiques de la gemme.
Suivant le résultat du test au polariscope, je recherche un pléochroïsme au dichroscope. Les pierres anisotropes présentent souvent un certain pléochroïsme. Dans certains cas, il est tellement fort que l’on peut le voir à l’œil nu, comme dans le cas d’une tanzanite. A noter que je pratique d’abord le test au polariscope avant celui du dichroscope car certaines pierres, bien qu’anisotropes, ont un pléochroïsme quasi nul. Le pléochroïsme des pierres très claires est particulièrement dur à voir.
Le test suivant est la mesure de l’indice de réfraction (IR). On utilise pour cela un réfractomètre. C’est devenu un instrument indispensable pour le gemmologue. On trouve sur le marché des réfractomètres à partir de 100€, mais ils sont souvent mal calibrés et peu lumineux. J’ai fait l’erreur d’en acheter un au démarrage et je me suis rendu compte qu’il avait un décalage d’indice de 0,02 ce qui est énorme. Un bon réfractomètre coûte très cher, mais durera des années si l’on en prend bien soin. Une excellente alternative est d’en acheter un d’occasion, d’une bonne marque. Voici celui que j’utilise maintenant depuis plusieurs années et qui a le très grand avantage d’avoir un éclairage interne qui fonctionne sur piles AA. Vous pourrez le trouver ici pour moins de 400€.
La mesure de l’IR permet de diminuer fortement le nombre d’identités potentielles de notre gemme. Le réfractomètre permet également de déterminer si la pierre est isotrope ou anisotrope (mais on le sait déjà grâce au polariscope), si elle est uniaxe ou biaxe, et son signe optique + ou -. C’est l’un des outils les plus pratiques du gemmologue. Ce n’est pas pour rien que les écoles comme le GIA font de cette mesure la toute première étape de l’analyse. Pour ma part, je préfère la faire un peu plus tard car sur le terrain je n’ai pas systématiquement la possibilité de mesurer l’IR (allez essayer de demander cela à un vendeur lors d’un salon…). Par contre, après analyse au calme, il suffit de rapporter la pierre au vendeur.
Au cas où l’IR de la gemme dépasse les capacités du réfractomètre (1,80), j’utilise le spectroscope à réseau. C’est un instrument extrêmement pratique qui fait la moitié de la taille d’un stylo. Son seul inconvénient est que l’on doit s’exercer régulièrement pour que cela soit efficace. On doit immédiatement savoir reconnaître les spectres observés. Cela demande un peu de temps et de pratique car le spectre n’est pas toujours facile à voir, notamment pour les pierres claires. Je dois avouer que je détestais l’utiliser jusqu’à ce que ma prof de gemmologie me montre comment le faire efficacement. Après une après-midi, j’étais conquis et c’est un test que je pratique maintenant systématiquement afin de garder l’œil. Il est quasi indispensable pour différencier certains grenats et certains zircons.
C’est en tout dernier lieu que j’utilise le microscope. D’abord parce qu’un examen attentif à la loupe aura déjà donné beaucoup d’indices. Ensuite, parce que c’est très encombrant. Mon microscope fait partie de mon laboratoire portable et je dois le monter et démonter après chaque utilisation. Il reste quasi indispensable pour repérer les traitements. Le microscope permet également de repérer assez facilement les perles véritables (fines ou de culture) de leurs principales imitations.
J’ai volontairement omis l’usage du filtre Chelsea. Ce qui était vrai hier pour ce filtre ne l’est plus aujourd’hui, et sera encore différent demain. Certaines émeraudes véritables ne réagissent pas en rose au filtre Chelsea. D’autres gemmes réagissent de manière similaire à une émeraude véritable. Pour ma part, je n’emploie ce filtre que lors d’analyse de lots pour vérifier que toutes les pierres d’un lot présentent la même réaction. Si ce n’est pas le cas, c’est que nous nous trouvons face à un lot de pierres non homogènes. Il peut être intéressant de regarder les pierres bleues car souvent les pierres de synthèses comme le spinelle bleu sont d’un rouge très vif.
A chaque étape de l’analyse gemmologique, on note nos observations. Chacune d’elles nous amène à supprimer des identités potentielles. Un mantra à se répéter à longueur de temps : toujours faire une identification positive d’un indice.
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